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Acte 1

Le narrateur :
Pascal, Blaise Pascal, est né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand.
Même une personne côtoyée assidûment durant des années, quand on essaye de la présenter en quelques phrases, on peut être certain qu’elle refusera cette description.
Même une personne aimée, avec qui, de la rencontre à la rupture, on a vécu des phases proclamées « bonheur parfait », « harmonie », « accord idéal ».
Faire revivre ici Blaise Pascal est donc un véritable défi.

Même si un peu de l’ADN du Blaise Pascal décédé le 19 août 1662 nous le reconstituait, ce ne serait jamais le penseur du 17eme siècle.
Malade dès l’enfance, Blaise Pascal avait intériorisé l’inévitable brièveté de sa vie. Il est mort à 39 ans.
Mais Blaise Pascal reconstitué serait sauvé par notre médecine ! Notre héros ne saurait être limité par sa constitution physique. On ne meurt plus de fragilité !... En France... sauf exceptions !
Né en France durant la seconde moitié du 20eme siècle, Blaise Pascal aurait naturellement été imprégné par cette époque. Et nul doute qu’à dix-sept ans il aurait défilé dans les rues avec ses condisciples, lors d’une mémorable, forcément mémorable, inoubliable, formidable, inégalable mobilisation contre une inacceptable tentative de réforme, forcément inacceptable, une tentative de réforme de l’Education Nationale.
Alors qu’à 17 ans, en 1640, Blaise Pascal publiait Essai pour les coniques. C’est de la géométrie, les coniques.

Ces difficultés ne sauraient nous décourager.

Si le pari de Pascal est gagné, il nous observe du paradis, et va sûrement s’indigner d’être résumé par un seul aphorisme de ses Pensées... et en plus ce n’est pas :

Blaise Pascal alors invisible, dans l’ombre, est éclairé :
« Il n’y a que deux sortes de personnes qu’on puisse appeler raisonnables : ou ceux qui servent Dieu de tout leur coeur parce qu’ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur coeur parce qu’ils ne le connaissent pas ».

Le narrateur :
Comme il préfère l’hypothèse où il nous observe, il était plus pratique de l’inviter.

Pour les personnes auxquelles les références sont indispensables, je précise que cette Pensée figure au numéro 194 tiret 427 dans la classification usuelle.

Le pari de Pascal... un appel aux incroyants... vous avez tout à gagner à croire, même à croire par simple pari : alors que vous avez tout à perdre en ne croyant pas. Au grand jeu de l’éternité possible, les paris sont ouverts !

Quant à mon Blaise Pascal à moi, c’est un extrait du paragraphe 139 tiret 136, qui me le rend essentiel :

Blaise Pascal :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.


Le narrateur :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.

La profession de webmaster fut naturellement inconnue de Blaise Pascal.
Il n’a même pas connu la première édition de ses Pensées, réalisée par un groupe d’amis huit ans après sa disparition.

Le 19 juin 2023, la Poste et quelques-uns d’entre nous fêterons le 400eme anniversaire de sa naissance. La poste en émettant un timbre tarif lettres, avec pré-vente à Clermont-Ferrand où les notables seront de sortie. Le 19 juin 2023, la profession de webmaster sera alors courante. Certes, les officiels de la classification nous auront intimé l’ordre administratif d’utiliser un vocable plus francophone...

La vie du webmaster est justement de celles à vivre dans une chambre : elle permet de limiter les contacts humains sans toutefois en ignorer l’existence.
Car il faut bien vivre ! le webmaster d’aujourd’hui, celui exerçant sa surprenante activité dans le silence d’un village épargné par l’industrie, le réseau routier, l’aviation et autres nuisances, le webmaster travaille pour subvenir à ses besoins, le Conseil Général ayant exigé un projet professionnel pour continuer à lui verser son rmi.
Certes, comme Blaise Pascal, il peut écrire quelques livres... mais se contentera de les promouvoir via internet, fuyant les endroits claironnés salons du livre, fêtes du livre, foires du livre, lire en fête. Salon, foire ou fête du livre, espace culturel, parc des expositions ou salle des fêtes aménagée avec tables sur tréteaux, où des humains proclamés et souvent autoproclamés écrivains, sont visités par des badauds locaux en quête de figures vues à la télé.
Et les badauds comme les voisins font la conversation.
Et n’oublions jamais...

Blaise Pascal :
On se gâte l’esprit et le sentiment par les conversations.

Le narrateur :
Le webmaster crée et gère un ou des sites internet. Il a donc la possibilité de promouvoir ses idées. C’était bien l’ambition de Blaise Pascal. Qu’il se rassure, nous n’irons nullement à l’encontre de ses convictions. Même si ce petit exposé occultera volontiers le versant apologie de la religion chrétienne de ses Pensées.

Attention : notre optique n’est nullement de conseiller aux enfants de rejeter leurs parents, refuser l’école et s’installer devant un écran. Se former est indispensable. Même si, ensuite, naturellement, il faudra faire le tri.
Et dans la formation figurent encore inévitablement les conversations.

Blaise Pascal :
Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de bien savoir choisir pour se former et ne point se gâter.

Le narrateur :
Soyons réaliste, évitons toute démagogie : rencontrer un être dont la conversation formera est aussi fréquent que de photographier un Conseiller Général abonné à une bibliothèque pour une autre raison que les apparences.
Se former correctement est indispensable et quasiment impossible. En trois siècles nous n’avons guère avancé dans les outils disponibles pour résoudre l’équation de la vie d’avant la vie dans une chambre.
Si la vie dans une chambre est l’objectif d’un être formé, elle serait une prison pour l’être encore sauvage... employons des expressions anciennes !...

J’entends déjà les commentaires : mais comment ce cher Blaise en est arrivé à cette extrémité ?... lui demander serait tentant... mais son contrat est catégorique, lui interdit tout commentaire... « votre rôle sur terre se limitera à réciter les paroles extraites de vos Pensées ».

Là, il convient de poser les Pensées et s’intéresser à l’homme...
A trente et un ans, un « grand refus du monde » succède à une courte période que nous appellerons « mondaine ». Le 8 décembre 1654, sa soeur Jacqueline en informe leur soeur Gilberte et précise « dégoût presque insupportable de toutes les personnes qui en sont ». Qui en sont... du « monde » naturellement.
Sur ce sujet du dégoût, observons que la trentaine reste une phase cruciale où la majorité abandonne, se vautre dans la télécratie et autres futilités, alors qu’un petit nombre s’orientent vers une paisible sortie du tunnel.

Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.

J’ai longtemps médité cet aphorisme. Durant des heures parfois. Et j’adorais le placer. Ça me donnait... « un genre »... j’étais jeune et à cet âge, quand on n’est pas chanteur ou espoir d’un sport médiatique, on se cherche le plus souvent un rôle susceptible d’aimanter les plus ravissantes demoiselles.

Marjorie est éclairée :
« C’est ton soutra ?»

Le narrateur :
Me demanda un matin une jeune diplômée en psychologie. J’avais répondu en souriant « on peut dire ça ». En souriant non à cause de sa question ni de ma réponse mais de sa beauté. Comment ai-je pu séduire cette fille ?
Je m’interrogeais encore quand elle avait ajouté :

Marjorie :
« Ça ne marche pas ton truc, dans une chambre tu penses immédiatement à faire l’amour ».
Le narrateur :
Alors j’avais improvisé. Sans la convaincre. Un truc du genre : « demeurer en repos », aujourd’hui il écrirait « demeurer en paix » et l’autre n’est pas forcément l’empêcheur de sérénité. « En repos », c’est loin des distractions, loin des bureaucrates.
Elle m’avait immédiatement montré la faille :

Marjorie :
Donc seuls les rentiers peuvent se le permettre. Tu comptes hériter ?

Le narrateur :
C’était durant la dernière décennie du vingtième siècle et je m’étais avoué vaincu. J’avais pensé : je retournerai donc dans un bureau et nous allons peut-être vivre une simple histoire d’amour classique, ce qu’il est possible de vivre avec le cerveau assiégé de problèmes prétendus vitaux pour une entreprise.
J’oeuvrais alors dans le service rédaction des contrats, chez un assureur populaire et néanmoins arnaqueur.

Une question me taraudait. Pour éviter d’apparaître trop bizarre... elle était vraiment superbe et si notre histoire s’avérait limitée par notre condition, je tenais néanmoins à la vivre...
Une question me taraudait, j’attendais une petite chute du dialogue pour me précipiter aux toilettes.
J’ai donc prétexté la nécessité de me rendre « en bas ». La chambre était située dans la mezzanine. Facile à visualiser : la mezzanine en haut, les toilettes en bas, douze marches d’escalier et avant la minuscule salle d’eau, la vaste pièce salon bureau salle à manger, vaste par rapport aux vingt-six mètres carrés du contrat de location. Et hop, en passant à côté du bureau, je saisis de la main droite le dictionnaire.
Quelques pas et me voilà assis presque confortablement avec Petit Robert sur les genoux. Et je lis :
SOUTRA : mot sanskrit, terme didactique. Précepte sanskrit, recueil d’aphorismes de ce genre.

Guère plus avancé !... mais plus le temps de tergiverser... j’entends des pas... certes, j’avais eu la bonne idée de fermer le verrou rouillé. Mais je me sens coincé. Elle va tout comprendre en me voyant sortir dictionnaire en main. Je vais encore être ridicule. Oh non ! pas avec elle ! Soudain l’illumination. Je l’ai vécue ainsi, comme une véritable illumination, la pensée qui me vint !...
Elle... je pensais Elle... n’ayant pas retenu son prénom la veille, dans le brouhaha pseudo musical de notre rencontre... Elle n’est pas encore venue aux toilettes !... si elle voit le dictionnaire, elle aura sûrement une réflexion gratifiante.

Ce qui n’a pas manqué quinze minutes plus tard, alors que nous étions tendrement enlacés.

Marjorie :
C’est la première fois que je me retrouve dans une salle de bains avec un dictionnaire.

Le narrateur :
J’avais naturellement préparé une répartie : « tu es plutôt familière des mecs abonnés à Play Boy ? ».
C’est alors qu’elle m’a confié, dans cet appartement au 22 rue des 3 visages, juste devant l’enseigne lumineuse et affreuse d’un torchon d’annonces payantes distribué gratuitement chaque semaine, même dans ma boîte aux lettres, c’est alors qu’elle m’a confié, tandis qu’il pleuvait à grosses gouttes sur Arras et donc sur le célèbre Lion que nous apercevions via le vasistas de la mezzanine, le Lion surplombant le Beffroi d’Arras :

Marjorie :
Lundi j’entre dans un monastère, trois ans, trois mois et trois jours. J’y réciterai mes soutras à moi, les pensées les plus nobles des grands maîtres spirituels bouddhistes.
Le narrateur :
J’étais K.O. Je devais vraiment avoir une tête d’ahuri ! Elle ajouta :

Marjorie :
C’est la première fois qu’une fille Bouddhiste visite ton appartement ?

Le narrateur :
Je peux venir avoir toi ?
Je n’avais rien trouvé d’autre pour rompre le silence.

Marjorie :
C’était ma dernière nuit d’amour... j’espère que tu en as profité autant que moi.

Le narrateur :
Dernière ?!

Marjorie :
Dans trois ans, trois mois et trois jours, tu ne te souviendras peut-être même plus du regard de la fille un peu bizarroïde que tu as croisée un soir dans une boîte enfumée.

Le narrateur :
Je peux t’écrire.

Marjorie :
Oui... mais inutile... aucun courrier ne me sera transmis.

Le narrateur :
J’ai le droit de t’attendre ?

Elle m’a fixé quelques secondes. Impression d’être scanérisé. Et elle a noté une adresse sur la boîte de préservatifs.

Nous sommes restés ensemble jusqu’à 20h14. C’était l’heure de son train. Nous étions passés à son hôtel, prendre une seule valise.
Marjorie :
Une seule valise, c’est bien suffisant, quand on emmène uniquement les choses essentielles.

Le narrateur :
J’ai un instant espéré l’avoir détournée de sa résolution. Puis ce fut le dernier geste des mains qui ne peuvent plus se toucher mais s’avancent vers l’autre. Et je me suis assis effondré par terre, voie numéro 3, la tête contre un banc en fer. Et j’ai souri. Peut-être quelqu’un a alors écouté ma réflexion.
Je n’étais plus en état de prêter attention à des voyageurs ou agents de surveillance perplexes.
Et qui aurait pu comprendre mes propos ! « Voilà ! Tu t’es mis en situation de confronter ton aphorisme préféré avec la réalité ! »

Blaise Pascal :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.

Le narrateur :
Cette rencontre m’avait donné la force de quitter le Pas-de-Calais. Trouver une chambre au plus près de son monastère était désormais l’ambition.
Mais une première grande difficulté ne tardait pas à me chatouiller les méninges : l’argent. Nul besoin de retourner dans cet appartement où il me semblait inconcevable inacceptable intolérable impossible de rentrer seul, nul besoin de chercher le montant exact au bas de chaque compte... compte courant et livret A... rien de plus...
Pour savoir que cette addition ne me permettrait jamais d’acheter quoi que ce soit... et qu’aucun propriétaire ne louerait à un chômeur...
Naturellement, quitter le bureau du petit cadre presque dynamique était impératif... C’est donc gare d’Arras, la tête contre un banc en fer d’un vert majoritairement écaillé, qu’être licencié devint mon premier objectif.
Vue mon ancienneté, pour l’entreprise ce fut une goutte d’eau. Pour moi, c’était... l’océan !... et j’avais droit aux Assedic !
Licenciement facile finalement. Ils ont apprécié mon... « honnêteté »... j’invente pas... c’est le terme du Directeur des Relations Humaines.
Il avait apprécié mon : « Je dois partir. Mais ce n’est pas urgent. Alors vous pouvez me payer à glander durant deux ans ou me licencier demain. En bonne logique économique, me licencier immédiatement est le plus rentable ».

Vivre de peu devint mon credo. Achats remboursés et petites magouilles.

Adieu famille, adieu relations professionnelles, adieu vagues condisciples du week-end.
Avec l’argent du licenciement j’achetais une maison bi-centenaire, en urgence de rénovation. Dans le Quercy, le Quercy blanc, l’extrême sud du Lot. La Dordogne m’étant inaccessible, il m’avait fallu descendre, descendre, jusqu’à cette région alors délaissée.

Que faire quand la vie vous condamne à deux ans onze mois et quelques jours dans une maison ?
Dans une maison où j’étais le premier habitant à plein temps depuis cinq décennies, les précédents propriétaires l’ayant toujours utilisée comme résidence secondaire. A la mort de l’ancêtre, les enfants, en conflits, n’ayant pu trouver d’accord, ils devaient vendre sous six mois. J’étais passé au bon moment !

Que faire ? Lire Les Pensées de Pascal d’abord ! Il était quand même l’une des raisons de ma présence en ces lieux... et naturellement, lors de ma précédente vie, je m’étais contenté d’un dictionnaire de citations... j’étais un salarié ordinaire... quelques aspirations à une autre vie... mais manque de temps, sorties, télévision, apéros et blabla et blabla...

Je dois l’avouer : imprégné de cet aphorisme


Blaise Pascal :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.

Le narrateur :
Je m’attendais à mieux !

J’ai quand même recopié quelques lignes :

Blaise Pascal :
Quand on veut reprendre avec utilité, et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui faire découvrir le côté par où elle est fausse.

D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite ? A cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons.

Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser.

Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.
Celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.

Toute la dignité de l’homme consiste en la pensée.

Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours. Et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu’il est roi, je crois qu’il serait presque aussi heureux qu’un roi qui rêverait toutes les nuits, douze heures durant, qu’il serait artisan.

Le narrateur :
Je rêvais naturellement chaque nuit. Je revivais cette nuit-là. Et pourtant je n’étais pas vraiment heureux. Je me sentais comme un passager sur un bateau à voiles, dans l’attente d’arriver au port.
Dans la situation aussi d’un marginal observé par les braves gens... vous savez bien... ceux qui n’aiment pas, mais alors pas du tout, « qu’on suive une autre route qu’eux ». Un marginal surnommé « le glandeur », « le fainéant », « le magouilleur », « le cas social » par les artisans, retraités et bigotes du coin. Sûrement d’autres surnoms... mais jamais prononcés devant mes fenêtres ouvertes !...

Naturellement, trois ans trois mois et trois jours après cette fondamentale rencontre séparation, j’étais en Dordogne. Je me trouvais vieilli, me demandais si... Marjorie allait me reconnaître. Des centaines de proches attendaient la sortie des reclus. Deux heures plus tard, j’étais seul devant un moine. Il me sourit. Je le questionnais d’un simple « j’attends Marjorie ». Sa réponse me figea, je n’osais en demander plus : « oui, je sais ».
Il sortit du rebord de sa manche gauche une lettre, me la tendit.
J’ai réalisé son départ quand je l’ai eue lue pour la cinquième fois, cette lettre.

Marjorie :
Stéphane,
Je ne saurai sûrement jamais si tu es venu. Pourtant une intuition me persuade que tu liras cette lettre. Je ne t’ai donc pas oublié !
Mais j’ai trouvé ce que je sentais, l’essence derrière les apparences, un monde supra-intellectuel, radicalement inconciliable avec l’Occident actuel.
Je n’ai donc plus aucune raison de retourner dehors.
La sérénité est possible. Tu l’effleureras peut-être avec l’aide de Pascal. Et d’autres. N’hésite jamais à te laisser contredire par la pensée des autres.
Quand je pense à toi, je t’imagine dans une chambre, serein.
Cette pensée est agréable.
L’équilibre du monde passe par le notre.
Si tu laisses un mot, il me sera remis... uniquement si je décide de sortir. Naturellement, je suis libre de sortir. Mais seul un séisme intérieur pourrait me convaincre.
Avec mon meilleur souvenir.
Harmonie, Lumière, Sérénité,
Marjorie.

Le narrateur :
Durant quelques jours j’errais autour du monastère, dormant recroquevillé sur les banquettes avant de ma 205 diesel color line. Et j’ai naturellement laissé une lettre. Hésitation : entre les vingt-cinq pages de l’envie et les quelques lignes de la raison.

Quelques lignes, c’était suffisant... j’avais bien lu !... cette lettre ne pourrait produire le moindre séisme, elle ne serait lue qu’en cas de sortie.

Marjorie,
Je t’attends à quelques dizaines de kilomètres. C’est une maison. Je vis presque uniquement dans une chambre. Et quand même un petit terrain entouré de buis.
J’espère naturellement ta venue... avant d’être un vieil ascète chauve, édenté.
J’ose, comme dans mes rêves, t’embrasser
Stéphane

Et j’avais ajouté l’adresse.

Quelques jours plus tard, la réalité sociale me rattrapait à son tour.

Il me fallait suivre une formation ou présenter un projet concret. J’étais passé de la tranquillité « fin de droit en Allocations de Solidarité Spécifique » à la pression mise sur le Rmiste. J’ai demandé une aide financière pour acheter un ordinateur. Cette demande eut au moins l’avantage d’être un dossier pour les services concernés. Donc de m’octroyer deux mois supplémentaires.
Naturellement cette demande fut refusée. J’avais entendu parler d’internet à la radio, sur France-Inter... et comme c’était la seule véritable nouveauté de l’époque... au moins un créneau non balisé par les instituts de formation !
Non, vous ne me verrez pas en formatage professionnel !

Un an plus tard, j’avais acheté un ordinateur, confectionné un petit site chez un hébergeur gratuit et je cherchais le moyen d’acheter un nom de domaine ailleurs que chez France Telecom... Etre webmaster d’accord... mais pas débuter en se faisant matraquer, en claquant deux Rmi pour un nom de domaine facturé six dollars aux Etats-Unis.

Mes ennuis administratifs se précisaient. Les menaces de suspension du revenu minimum pleuvaient. Avec l’injonction de revoir le référant pour un nouveau dossier... Le dossier présenté ne pouvait être validé par la commission. Projet non cohérent. Je ne fournissais aucun budget prévisionnel, ni de modèles économiques !
Je n’avais même pas sollicité les marchés financiers, le capital risque... C’était l’époque désormais connue sous le nom « bulle spéculative internet » où quelques baratineurs avec une vague idée se sont retrouvés à la tête du budget de toute une vie pour je ne sais combien de rmistes. Baratineurs bien en phase avec les réalités de ce pays : les commissions ont besoin de dossiers. Avec graphiques, coefficients de croissances, plan média, certitudes.

Ces contacts sociaux incrustaient en moi la véracité de l’aphorisme pascalien :

Blaise Pascal :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.

Le narrateur :
Je n’ai plus le choix ! Il me faut vivre grâce à internet !
Je relisais Les pensées...
Blaise Pascal :
Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes.

Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables à cause du dérèglement des hommes.

La chose la plus important à toute la vie est le choix du métier : le hasard en dispose.

Le narrateur :
Quelques années plus tôt, devenir webmaster aurait été aussi impossible qu’astronaute pour Blaise Pascal.
Le choix du métier, le hasard en dispose, certes. Mais la direction nous appartient... à certaines époques, dans certains pays.

La direction : devenir une forme de philosophe du net !
Philosophe sans chemise blanche BHL mais philosophe aux sources de la philosophie.
Vivre simplement, vivre retiré, en Pascalien digne d’Epicure, recevant chaque mois quelques virements sur son compte bancaire, en contrepartie des publicités présentes sur les sites, argent le plus souvent en provenance des Etats-Unis... la France ayant naturellement un temps de retard quand il s’agit de laisser aux gens le choix de vivre dignement, librement.
Vivre de peu... et même désormais sans le recours au Rmi, ayant laissé le Président du Conseil Général suspendre définitivement les allocations et... le dossier doit s’être perdu depuis... Non ! Ils n’ont pas viré le réfractaire aux contrôles et au suivi administratif... seulement suspendu ! Ils sont humains... ils sont... socialistes !

Pascal m’avait conduit à Epictéte, Epictéte à Sénéque, Epicure, Marc-Aurèle.
J’étais alors mûr pour l’ensemble de la philosophie antique, dont la figure du sage idéal, monsieur Socrate immortalisé par son disciple Platon.
En parallèle, je lisais naturellement des textes bouddhistes.

Et ce fut la révélation : l’idéal du sage, de la philosophie vécue, et non simple discours scolaire ou mondain, le sage antique est comme un frère jumeau du Bouddhiste réalisé.

L’Occident et l’Orient ont donc, bien avant l’idéal du sur-consommateur, connu une époque où la vie présentait un idéal similaire, et respectable.

Peu importe la porte d’entrée. Pour moi, ce fut donc Blaise Pascal. Peu importe, nous pouvons vivre dignement.

Ce que l’histoire appellera peut-être la sagesse du webmaster.
Ainsi parlais Zarathoustra (il éclate de rire).

J’ai confondu !

Ainsi s’exprime Stéphane Ternoise sur l’un de ses sites.

Rideau.



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l'Auteur de cette pièce de theatre

Blaise Pascal serait webmaster ! Parfaitement Donc le site de la fête des webmasters qui se déroule le 17 mai 2007 : la fête des webmasters... et les Saint pascal suivants... Blaise Pascal est né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand

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